Once upon a time in the West
C’est un moment que j’ai longtemps repoussé.
« Longtemps » n’est pas le terme exact ; disons que je l’ai redouté à partir du jour, il y a quelques semaines, où il est devenu palpable.
C’est donc un moment que j’ai récemment redouté, plutôt. Dès lors, je l’ai chassé, je l’ai ignoré – j’ai fermé les yeux et je me suis bouché les oreilles.
Car après dix mois « aux Anges », l’heure est venue de ‘rentrer à la maison’…
Dix mois, c’est bien, dix mois, c’est beaucoup – et pourtant, comme ils ont semblé courts, ces dix mois !
C’est presque devenu cliché de dire que le temps passe vite, mais dans ce cas précis, je ne vois pas ce que je pourrais dire d’autre : le 5 juillet 2006 me semble loin et proche à la fois. Trop proche…
Oui, il faut bien partir un jour, mais lorsqu’on n’est plus qu’à quelques heures de l’envol, on voudrait que ce jour soit repoussé indéfiniment, pour vivre, encore un peu plus, à la californienne. Pour « profiter », comme on dit. Du soleil, des palmiers, de la chaleur, de l’océan, du cinéma… Et puis des gens.
Il est évidemment mille fois plus exotique d’évoquer les atouts climatiques et culturels de la région, et pourtant ils feraient bien pâle figure s’ils n’accompagnaient pas des personnes délicieuses que j’ai découvertes, apprivoisées, connues ici. Ces individus fantastiques ont permis à ce séjour « angélique » de me paraître tout à fait électrique, bouleversant, et finalement surréaliste !
C’est qu’à Sciences Po, on l’attend de pied ferme, cette année de césure à l’étranger ; on en parle des mois à l’avance, on l’imagine, on la fantasme, on la redoute, on en est tout excité… Et puis elle débarque sans crier gare, la faute là aussi à ce temps qui court – elle débarque, et elle file… Elle démarre, et elle est déjà finie ! A peine le temps de frissonner, le temps d’angoisser un peu, le temps de rêver… qu’on rentre à la maison.
Mais pas indemne…
Je pensais que ce serait facile de reprendre l’avion, je pensais même qu’habiter près de l’océan ne présentait aucun intérêt particulier, et que le soleil ne serait qu’un bonus dont je pourrais me passer. J’avais gravement tort ! Le côté redoutable de la météo californienne, c’est qu’on y prend goût, on s’y habitue. Je ne vous fais même pas de dessin sur le fait de se lever au chevet des vagues tous les matins, et de se coucher avec le soleil sur le Pacifique tous les soirs. La Marne, la Seine et la Deûle réunies ne font pas le poids !
Quant au retour, il est globalement difficile. Comme je le disais, il faut bien rentrer un jour, et j’en suis même excité, de ce retour, pour tout un tas d’aspects différents… Mais parce que je me suis épanouis professionnellement (c’est le moins qu’on puisse dire) et parce qu’avec ces personnes si fortes que j’ai déjà évoquées nous nous sommes enfermés dans une bulle de bonheur suspendue au milieu du temps, le décollage à 22h00 Pacific Time ce mardi 24 au soir, risque d’être un chouya délicat à négocier. Le prix à payer, j’imagine… Et puis moi qui aime les avions, les départs, les voyages, autant enrubanner le tout de quelques larmes, ça fait plus « vrai »…
Moi qui pensais ne pas supporter vivre à long terme chez nos amis américains (si tant est que dix mois soit du long terme), je me suis fait à leur nourriture douteuse, leurs tips enrageants, leur conduite apocalyptique, leur superficialité occasionnelle, leur bêtise cocasse (et occasionnelle elle aussi), leur hypocrisie latente (occasionnelle ter)… Je me suis aussi fait à leur accueil chaleureux, leur sympathie immédiate, leur politesse bienvenue, leur créativité continue et leur mode de vie… américain ! Oui, j’ai apprécié.
J’ai acquis la certitude de vouloir faire tourner mon avenir autour du cinéma, des arts du spectacle en général. J’ai acquis la certitude de vouloir passer un bout de ma vie à voyager, pour découvrir tout ce que je ne connais pas, pour mener à terme ces escapades avortées autour du monde.
Je sais davantage ce que je veux, je suis plus sûr de moi.
C’est un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour l’Arthur !
Et c’est grâce aux palmiers, c’est grâce aux bobines de films, c’est grâce à vous…
Les Anges m’ont fait grandir, c’est certain, et rien que pour ça je devrais être ému de les quitter, rien que pour ça je devrais être heureux du temps que j’y ai passé – alors quand il y a tout le reste en plus…
J’ai appris à mieux me servir de tout ce qu’offre ce bel outil qu’est le blog, pour vous montrer des bouts de ma vie ici ; ç’a donné quelque chose de plus linéaire qu’à l’accoutumée, moins lié aux humeurs mais plus aux rencontres et aux activités – et je crois qu’on ne s’en est pas trop mal sortis, vous et moi ! Merci…
Je n’ai dévoré que cinq pots de Nutella, même si à ce niveau-là je ne sais pas si c’est très positif.
Et en ces dernières heures californiennes, je pense beaucoup à L’auberge espagnole, et je suis frappé par la force avec laquelle ce film m’a ému à chaque vision, sans même que j’aie alors vécu pareille aventure ! Je suis désormais touché, et un peu tremblant, de savoir ce que pouvait réellement être le ressenti de Xavier…
Je suis heureux. Je ne suis pas triste, à peine mélancolique (« …le bonheur d’être triste », dixit Victor Hugo). Je garde « cette force de penser que le plus beau reste à venir » - ce qui, dans cette situation, promet des jours magnifiques…
Non, je ne suis pas triste.
Oui, je suis heureux !
J’ai sans doute vécu l’une des plus belles aventures qu’on puisse être amené à vivre quand on n’a que dix-neuf ans. Je suis parti, je me suis retrouvé, j’ai découvert Los Angeles, je me suis découvert un peu plus.
Et, au moins pour ça, et pour tout le reste aussi, je peux vous le dire : ce n’est qu’un au revoir, les Anges !